TRES BEAU TEXTE A MEDITER PENDANT LA PERIODE DE NOEL.
TRES BEAU TEXTE A MEDITER PENDANT LA PERIODE DE NOEL.
Voir partie soulignée, pourquoi le maître préfère nous voir " imbibés d'alcool" plutôt que lucide .
Extrait d’Afrikara.com, voir en gras très beau texte de Frederick DOUGLASS In Mémoires d’un esclave.
Loisirs contre Libération selon Frederick Douglass
La vie de Frederick Douglass esclave marron affranchi est à elle seule un roman d’action et de philosophie où les chapitres sur sa vie en servitude s’égrainent jusqu’à sa libération suivis de son mémorable combat pour l’abolition de ce que l’on nommait l’"institution particulière". Né d’une mère esclave en 1818 dans une ferme du Maryland dans le sud des Etats-Unis, Frederik Douglass fut propulsé dans le débat public à la suite du récit autobiographique de sa vie sous l’oppression négrière. En 1845 paraissait en effet le texte intitulé: "Narrative of the life of Frederick Douglass, an American slave. Written by Himself."La traduction française de ce texte, "Frederick Douglass. Mémoires d’un esclave" [Lux éditeur, 2004, 2006] rend accessible la vie et l’ascension fulgurante du celui qui fut le premier esclave noir à dépasser sa condition pour devenir homme politique, philosophe et écrivain reconnu de son vivant. Frederik Douglass racontant sa vie propose une réflexion encore utile et précieuse sur la relation entre loisir et libération, plus justement sur la relation entre certains loisirs stimulés, encouragés par les maîtres et la diminution de l’incitation à la libération. Fruit de son existence, son témoignage et son analyse n’ont guère perdu de leur pertinence à l’heure de l’économie des jeux, des jouets, des divertissements, des biens trop vite qualifiés de culturels. Extrait (PP.88-91).
"…Les jours entre le jour de Noël et le jour de l’An sont des jours de congé, durant lesquels nous ne sommes tenus de faire aucun autre travail que de nourrir et soigner les bêtes. Ces jours là, par la grâce de nos maîtres, étaient à nous et nous étions libres d’en user et d’en abuser à peu près comme bon nous semblait. Les esclaves les occupaient de bien des manières. Les plus posés d’entre nous, les plus sobres, les plus réfléchis et industrieux fabriquaient des balais, des matelas, des paniers et des colliers ; d’autres chassaient l’opossum, le lièvre ou le raton-laveur. Mais la plupart se livraient à des activités sportives ou à des jeux -ils jouaient au ballon, pratiquaient la lutte ou la course à pied, jouaient du violon, dansaient ou buvaient du whisky. Et c’est, de loin, cette dernière activité qui était la plus au goût de nos maîtres. Ils considéraient qu’un esclave qui travaille durant ses vacances ne les méritait guère et qu’il refusait par là une faveur qu’ils lui avaient faite. C’était à leurs yeux une honte de ne pas être saoul le jour de Noël et un esclave qui n’avait pas, durant toute l’année mis suffisamment de whisky de côté pour boire de Noël au jour de l’an était jugé tout particulièrement paresseux.
"Tout ce que je sais des effets de ces vacances sur l’esclave me donne à penser qu’elles sont un des plus efficaces moyens dont disposent les propriétaires pour étouffer tout esprit de rébellion. Si les propriétaires d’esclaves devaient du jour au lendemain abandonner cet usage, je n’ai aucun doute que cela provoquerait aussitôt une insurrection chez les esclaves. Ces vacances sont des valves de sûreté, des exutoires de l’esprit de rébellion de cette partie de l’humanité maintenue en esclavage. Sans elles, l’esclave en serait réduit au plus complet désespoir. Et malheur aux propriétaires le jour où ils se priveront de ces valves et de ces exutoires. Je les mets en garde que ce jour-là, un souffle se lèvera au milieu d’eux, plus terrible que le plus effrayant des tremblements de terre. Les vacances sont une part essentielle de l’immense mensonge de l’esclavage, de son horreur et de son inhumanité. On les donne volontiers comme un usage établi par la bonté des maîtres ; mais je n’hésite pas à dire qu’elles sont un produit de leur égoïsme et une des plus grandes tromperies perpétrées contre les esclaves qu’ils tyrannisent. Ils aimeraient bien continuer à travailler leurs esclaves durant cette période, mais ils savent qu’il serait dangereux de le faire. Et on le voit bien en ceci que les propriétaires souhaitent que leurs esclaves passent cette période de manière qu’ils se réjouissent de sa fin autant qu’ils se sont réjouis de son commencement. Leur but, me semble t-il, est de la plonger dans les bas-fonds de la débauche afin de les dégoûter de la liberté. Ainsi, il ne leur suffit pas que l’esclave boive de son propre gré : ils imaginent divers stratagèmes pour les saouler. Ils vont par exemple organiser des paris sur leurs esclaves pour déterminer celui qui peut boire le plus sans être ivre et ils parviennent ainsi à faire en sorte que de nombreux esclaves boivent excessivement. Et c’est par cet astucieux stratagème qui fait confondre débauche et liberté, que le rusé propriétaire répond à l’esclave, qu’il sait ignorant, lorsque ce dernier aspire à la liberté. La plupart d’entre nous tombaient dans le panneau, avec un résultat prévisible : plusieurs finissaient par penser que la différence entre la liberté et l’esclavage n’était pas si grande et que, à tout prendre, il valait mieux être esclave d’un homme plutôt que du rhum. Et c’est ainsi que, lorsque les vacances se terminaient, nous sortions en titubant de l’auge boueuse où nous nous étions vautrés et reprenions le chemin des champs - satisfaits, après tout, d’échapper à ce que nos maîtres nous avaient fait prendre pour la liberté et de retourner dans les bras de l’esclavage. J’ai dit que ce type de traitement faisait partie du système général d’imposture et d’’inhumanité de l’esclavage. Il en est ainsi. Cette manière de dégoûter l’esclave de la liberté, en ne lui permettant d’en voir que les abus, se retrouve ailleurs. Par exemple , si un esclave adore la mélasse et qu’il en vole, le maître, bien souvent, se rend en ville , en achète une grande quantité, revient , prend son fouet et ordonne à l’esclave de manger la mélasse, jusqu’à ce que la simple mention de ce mot le rende malade. On utilise parfois ce moyen pour dissuader les esclaves de réclamer plus de nourriture que leur ration normale. Un esclave a mangé toute sa ration et demande davantage. Le maître est furieux mais au lieu de le laisser repartir sans nourriture, il lui en donne plus que nécessaire et le force à tout manger en un temps donné. Si l’esclave se plaint qu’il ne peut pas tout avaler, le maître lui répond qu’il n’est jamais content, ni repu ni à jeun, et il le fouette parce qu’il est difficile à satisfaire ! Je connais d’innombrables exemples tierés de mes observations qui illustrent ce principe mais je pense que cezs cas suffiront. Cette pratique est très répandue. "
Les industries du loisir, des jeux, l’addiction aux compétitions sportives, stars, produits dérivés, vendus de toutes les façons aux milliards de déshérités d’un monde accaparé par une minorité hyper active financièrement relèveraient, à certains égards, de cette équation entre loisirs empoisonnés et liberté abandonnée.
Lire : Frederick Douglass. Mémoires d’un esclave, traduit de l’anglais par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Lux éditeur, 2004, 2006.