Portrait de Domota par le Figaro:
Portrait de Domota par le Figaro
"Domota, l'homme qui veut mettre le feu à la Guadeloupe"
NDLR:la rédaction tient à préciser qu'elle n'est pas du tout d'accord avec ce "portrait" mais nous publions cet article pour bien montrer la désinformation et le parti pris de certains journeaux comme le figaro ou l'express.
- Est-ce un lapsus dû à la fatigue ou, plus sûrement, l'aveu maîtrisé de ses intentions ultimes ? Quoi qu'il en soit, Élie Domota parle désormais de «la presse étrangère» pour désigner les envoyés spéciaux venus de métropole couvrir le conflit guadeloupéen. Avec eux, il trouve toujours quelques instants pour évoquer, en français, la voix ferme et le regard un peu vague, «la mobilisation paisible mais déterminée du peuple guadeloupéen». Puis, chaque soir, il se saisit du micro, lève le poing au ciel et se met à vitupérer, en créole cette fois, devant une foule chauffée à blanc, contre «les békés qui nous exploitent» ou «les forces coloniales venues casser du nègre» dans les banlieues de Pointe-à-Pitre.
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En quatre semaines de grève générale, Domota le syndicaliste s'est métamorphosé en leader adulé d'un mouvement qui fait chavirer la Guadeloupe entière. Devant le Palais de la Mutualité, devenu le QG des grévistes, chacune de ses apparitions est saluée par des cris de groupies et des salves d'applaudissements. Sur son passage, la foule est sommée de s'écarter par les trois imposants gardes du corps qui, où qu'il aille, ne le quittent pas d'une semelle. Lysette Obydole, 77 ans, explique d'ailleurs le plus sérieusement du monde : «Nous devons prendre soin de lui, car il nous est envoyé par Dieu pour répondre, enfin, aux attentes du peuple guadeloupéen.»
Maître dialecticien
Malgré les nuits trop courtes, malgré la tension, la grande réussite de Domota le syndicaliste est sans doute d'avoir, jusqu'à présent, joué sans fausse note une partition subtile, parce que nourrie d'ambiguïtés et de non-dits. «Remarquable stratège», selon les patrons, qui ne l'apprécient guère, le leader du collectif Liyannaji kon pwofitasyon («Ensemble contre les profiteurs» ou LKP) excelle, par exemple, dans l'art de souffler sur les braises tout en faisant mine d'appeler au calme. «C'est son point fort, estime un “métro” qui vit ici depuis plus vingt ans. Traditionnellement, les grévistes se coupent de la population parce qu'ils sombrent trop vite dans la violence. Cette fois, Domota s'est, au contraire, montré capable de tenir parfaitement ses troupes, laissant ainsi penser que les forces de l'ordre sont responsables des récents affrontements.»
Secrétaire général de l'Union générale des travailleurs guadeloupéens (UGTG), qui milite ouvertement pour l'indépendance de l'île, Élie Domota évite aussi toute référence à cette revendication, conscient que la population guadeloupéenne y est majoritairement hostile. «Le collectif LKP a été créé pour mettre un terme à la “pwofitasyon” et améliorer les conditions de vie des gens, mais il n'a pas de débouché politique», répète-t-il, inlassable. Lorsqu'on le pousse dans ses retranchements, il concède seulement : «Tous les êtres humains veulent jouir du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et les Guadeloupéens ne sont pas différents.»
Maître dialecticien, Élie Domota est né il y a quarante-deux ans dans le quartier populaire de Bas-du-Bourg, sur la Basse-Terre, fils d'un charpentier et d'une femme de ménage. Adolescent, il a, selon son ami avocat et poète Patrice Tacita, «fait ses premières armes de militant au sein des Jeunesses ouvrières chrétiennes et pris conscience des injustices sociales qui flétrissaient son pays.» À 20 ans, il s'envole pour Limoges, où il obtient une maîtrise d'administration économique et sociale, ainsi qu'un troisième cycle d'urbanisme. Puis, sitôt son cursus achevé, il s'en retourne vers la «mère Guadeloupe» et fait, entre 1993 et 1995, ses débuts dans le syndicalisme. «Dès 1999, je me souviens de l'avoir remarqué lors d'un conflit social chez Peugeot, relate Sébastienne Claude, militant UGTG. Sans être aux premières loges, il impressionnait par le calme avec lequel il appréhendait les choses.» À la faveur d'un solide sens de la formule et de sa bonne maîtrise des dossiers, Domota gravit progressivement les échelons d'un syndicat qui, traditionnellement, se distingue plus par l'activisme de ses gros bras que par la subtilité de ses analyses politiques. À preuve, l'UGTG multiplie, au début des années 2000, les mouvements de grève sans lendemain qui, systématiquement ternis par la violence, échouent souvent à recueillir l'adhésion populaire.
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L'homme cerne à la perfection les cicatrices de la Guadeloupe
Récemment arrivé au sommet de l'organisation, Domota semble, lui, avoir trouvé la bonne martingale pour mobiliser la population guadeloupéenne. Devant la Mutualité, ses meetings rassemblent désormais plusieurs milliers de «fans» qui paraissent, à mesure que le temps passe, toujours plus mobilisés. Petite moustache, bonnes joues, jeans et tee-shirt rouge éternellement déformé, l'homme n'est pas doué d'un grand charisme. Mais, indiscutablement, il a jusqu'à présent «senti» comme personne la crise sociale qui est en train de se jouer sur l'île.
Chaque soir, invariablement, une vague d'acclamations l'accueille lorsqu'il monte sur l'estrade et lance, en créole : «Bien le bonsoi', peup' Gwadloup !» Teinté de marxisme autant que d'anticolonialisme, son discours flirte avec la ligne jaune lorsqu'il dénonce les békés, ces descendants de colons esclavagistes qui contrôlent aujourd'hui une importante partie de l'économie. Mais quand on lui demande pourquoi il prend ainsi le risque d'attiser des tensions raciales toujours prêtes à ressurgir, il fait mine de ne pas comprendre et balaie : «C'est incroyable qu'on nous accuse, nous, d'être racistes, alors que nous subissons depuis quatre cents ans l'esclavage des Blancs.»
L'homme, qui cerne à la perfection les cicatrices de la société guadeloupéenne, multiplie volontiers les références aux périodes sombres de l'histoire locale, citant à tout bout de champ le drame de mai 1967 lors duquel plusieurs dizaines de manifestants ont été tués par les forces de l'ordre. Samedi dernier, il a fait un tabac en comparant le mouvement de grève de février 1952, à l'occasion duquel quatre Guadeloupéens sont morts, avec celui que l'île connaît aujourd'hui. À l'heure de clore ses harangues, il aime d'ailleurs à répéter : «Jou nou ke mete a jounou, peke vwe jou.» Tout un programme, qu'on pourrait traduire ainsi : «Il n'est pas encore venu, le jour où nous nous mettrons à genou.»
Seul en scène depuis près d'un mois, Domota est toutefois encadré de près par certains «durs» du syndicalisme local, qui connaissent les lois du rapport de forces avec l'État. Le week-end dernier, c'est avec eux qu'il a décidé de faire monter la pression sur le gouvernement en lâchant la bride à ses militants, déclenchant un impressionnant cycle de saccages et d'affrontements. À ce sujet, il réprime avec peine un demi-sourire et justifie : «Durant quatre semaines, nous avons réussi à les canaliser pour éviter tout débordement. Mais devant le mépris qu'affiche l'État, on ne pouvait plus les tenir.» Si mercredi, après la mort d'un militant du LKP, Domota a pour la première fois appelé au calme, il a cependant imputé la responsabilité du drame au gouvernement : «La Guadeloupe est une colonie, parce que, dans un département français, jamais on n'aurait laissé pourrir la situation avant d'intervenir.»
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