"La distance Raciale"
Le livre de Piankhy (www.piankhy.com),
"La distance Raciale"
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"« Les incantations enthousiastes nous procurent du plaisir par l’effet des paroles, et chassent le chagrin. C’est que la force de l’incantation, dans l’âme, se mêle à l’opinion, la charme, la persuade et, par sa magie, change ses dispositions.
Nombreux sont ceux qui, sur nombre de sujets, ont convaincu et convainquent encore nombre de gens par la fiction d’un discours mensonger. Car si les hommes avaient en leur mémoire le déroulement de tout ce qui s’est passé, s’ils < connaissaient > tous les événements présents, et à l’avance tous les événements futurs, le discours ne serait pas investi d’une telle puissance ; mais lorsque les gens n’ont pas la mémoire du passé, ni la vision du présent, ni la divination de l’avenir, le discours a toutes les facilités. »
Gorgias de Léontium
Sophiste présocratique et grand orateur se vantant d’être capable de défendre n’importe quelle cause par le seul pouvoir des mots, Gorgias était conscient du rôle tyrannique du discours dans les nouvelles formes du convaincre et, notamment, lorsque l’on désire disqualifier un adversaire politique et idéologique. De nos jours, la débauche d’énergie qu’applique cette tyrannie et l’omniscience dont elle se prévaut permettent souvent de masquer un petit autoritarisme de « système » qui refuse aux autres le droit de penser différemment d’elle, tout en prenant soin de sur-interpréter puis de sataniser, grâce au jeu des émotions, tout ce qui fait obstacle au triomphe de ses propres idées.
C’est dans les domaines en périphérie de l’antiracisme-spectacle et, plus précisément encore, dans l’analyse des comportements sociaux qu’il a générés, que nous allons nous atteler à constater comment la tyrannie du discours se charge de tromper sciemment, d’égarer l’opinion par l’inflation affective provoquée par le faussement des données d’intellection des problèmes d’exclusion. Tout cela dans le seul but de consolider une culture de système au sein des populations concernées par ces exclusions, et de tenter d’établir une relation d’emprise sur elles, tout en confisquant leurs luttes, après en avoir déformé et aseptisé l’essence originelle.
Jusqu’ici, l’intériorisation du statut victimaire au sein de l’inconscient national enseignait aux Autres, c’est-à-dire aux personnes différentes de la norme, d’attribuer au seul racisme, personnifié efficacement par l’unique Front national, la cause des obstacles qui entravaient leur liberté, leur dignité et leur citoyenneté. On s’entêtait, pour des raisons purement idéologiques, à instrumenter toutes les souffrances de ces Autres afin de les inclure dans le combat politique « antiraciste » dont on se présentait comme les uniques mandataires : les racisés avaient des problèmes et les seuls qui tenaient compte de ceux-ci étaient les antiracistes qui devenaient par conséquent leurs protecteurs, leurs guides et leurs sauveurs.
Ces antiracistes s’offraient en spectacle et mettaient en scène leur prétendu souci de l’Autre, mais tout cela était en réalité très superficiel. Pour eux, l’antiracisme était avant tout un instrument pour nourrir des ambitions strictement politiques et personnelles qui n’avaient rien à voir avec l’énoncé. Ils combattaient un volet du racisme qui, pris séparément, n’avait qu’une incidence minime, comparée aux réalités quotidiennes de ceux qui subissaient toutes sortes de discriminations que l’idéologie dominante refusait de voir. Les victimes du racisme étaient victimes de stéréotypes dégradants, présents dans l’inconscient national, d’exclusion, de discrimination au logement, au divertissement et à l’emploi etc., mais on ne leur parlait que des skinheads téléguidés par le Front national. C’était tout simplement de l’utilitarisme. L’utilitarisme rejette la morale commune en la remplaçant par la seule valeur valable à ses yeux : l’obsession de son utilité. Une chose n’est bonne que parce qu’elle est utile, et seul ce critère permet de définir moralement sa valeur intrinsèque. Il n’y a plus de notion du bien ou du mal, de notion de ce qui est moral ou cynique, tout s’efface devant la question : y trouve-t-on un quelconque intérêt ? Si la réponse est oui, on l’exploite sans vergogne au nom du tout ce qui est utile est forcément bon.
L’antiracisme et l’utilitarisme se marièrent en juin 1985, lors du grand concert de SOS Racisme à la Concorde qui vit 300 000 personnes se déplacer contre le racisme et le Front national. C’est à cette date que les institutionnels décidèrent de soumettre au peuple l’idée que, désormais, la définition de l’antiracisme ne se conjuguera plus qu’avec la notion de spectacle, de slogans infantiles et d’intérêts (les leurs) purement politiques pour combattre l’infamie.
Durant l’âge d’or de l’antiracisme, l’utilitarisme et l’antiracisme-spectacle fonctionnaient donc en bonne intelligence. Comme pour toute exploitation, les uns y trouvaient matière à diaboliser les racistes d’extrême droite pendant que les Autres s’enfermaient dans une posture victimaire qui les irradiait de toute part, tout en servant de caution morale aux premiers. Quand les Autres pâtissaient d’un racisme plus ou moins prononcé, ils allaient s’en lamenter auprès des « autorités officielles » qui commençaient par vérifier si l’affaire était exploitable puis, en cas de réponse positive, formalisaient les modalités d’application de sa dénonciation selon leur propre centralité.
Pendant des années, l’antiracisme utilitariste ne s’est ainsi préoccupé que de la gestion de l’opposition au racisme des extrêmes. Le sort des racisés réels l’intéressait déjà beaucoup moins hormis, bien entendu, lorsqu’il s’agissait d’en tirer profit et de faire la démonstration de son propre humanisme. Pressuré au bénéfice des donneurs d’ordres, le racisé s’effaçait donc après l’exploitation de sa détresse et de sa souffrance par d’autres, puis cessait subitement d’exister. Il retournait à son insignifiance jusqu’à ce qu’une prochaine urgence le sorte de son repos forcé.
Mais depuis un certain temps, le consensus fondé sur le simplisme outrancier de cet antiracisme utilitariste a volé en éclat. Le statut victimaire est clairement remis en cause. Depuis que l’opposition au FN n’est plus suffisante à elle seule pour jouer cette fonction qui confère une compétence morale à toute épreuve, et depuis que la victimisation à outrance des Autres a démontré ses limites en braquant un électorat contestataire (celui des Français de vieille souche vivant dans les quartiers populaires) contre la gauche antiraciste, accusée de faire la part belle aux « immigrés », et de délaisser les « vrais Français », un changement s’est opéré. Les Autres sont soudainement devenus encombrants.
D’un extrême, ils sont passés à un autre. On évoque leur hypersensibilité et leur susceptibilité à tout bout de champ. C’est à peine si on ne les somme pas de se justifier sur tel acte criminel commis par leurs « semblables », et de le « condamner fermement » avant d’avoir accès à une éventuelle parole. À ce stade de cynisme, le confort de la chose antiraciste est perçu en terme de « retour sur investissements » et n’échappe donc plus à la logique marchande. Ce retour sur investissement n’ayant pas répondu aux espérances et aux attentes de rentabilité fondées en lui, le revirement fut aussi soudain que brutal.
Au fil des années, les anciens bénéficiaires de l’antiracisme à tout prix, enfermés dans la victimisation inhérente à leur statut de « Français de la deuxième et troisième génération », se sont transformés en militants politiques et se sont affranchis de la tutelle paternaliste de leurs aînés. Ils ont tué « papa ». Ce que « papa » a, bien entendu, très mal pris. Par conséquent, il se venge par tous les moyens afin de rappeler l’ingratitude de ses anciens sujets. Il les charge dès qu’ils ne vont pas dans son sens et lui leur lance à la figure l’invective in du moment : communautaristes ! Étrangement, antiracistes et ennemis de l’antiracisme de l’époque se retrouvent aujourd’hui sur la même ligne nationale-républicaine et anti-communautariste."