Les suprématistes blancs en ordre de bataille (2)
Les suprématistes blancs en ordre de bataille
Nombre d’extrémistes entendent se porter candidats lors des élections locales de 2012. Certains visent même la Maison-Blanche. A leurs yeux, le moindre mandat compte pour faire avancer leurs idées.
Guide pour identifier les gens selon leur coiffe : sikh, musulman, juif, raciste (dunce signifie “imbécile”).
La liste des candidats à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 2012 ne cesse de s’allonger. Il faut maintenant y ajouter David Duke, le plus célèbre défenseur de la suprématie blanche en Amérique. Ancien grand sorcier du Ku Klux Klan, membre de la Chambre des représentants de Louisiane de 1990 à 1992 et président du Comité directeur des républicains de sa circonscription jusqu’en 2000, celui-ci compte de nombreux partisans sur Internet. Il n’avait plus envisagé de se présenter à des fonctions électives depuis le début des années 1990. A l’époque, il avait tenté de devenir gouverneur de Louisiane, et avait récolté 40 % des voix. Mais, comme nombre de “défenseurs des droits civiques des Blancs”, ainsi qu’il se définit lui-même, il estime que 2012 sera une année cruciale.
Partisans d’un réalisme racial
Néonazis (anciens et actuels), membres du Ku Klux Klan, néoconfédérés [qui interprètent de manière positive le passé esclavagiste des Etats sudistes] et autres représentants des multiples branches du mouvement “nationaliste blanc” commencent à remplir les dossiers nécessaires et à imprimer des tracts en vue de décrocher toutes sortes de mandats officiels plus ou moins importants. Selon eux, la hausse du chômage, quatre années passées sous un président noir et une immigration clandestine rampante sont autant de signes montrant qu’il est temps pour les Blancs de prendre position.
Pour la plupart, ils ne font pas la course en tête – pour l’instant. Mais le soutien qu’ils rassemblent atteint un niveau qui surprend et inquiète les groupes de veille des mouvements suprématistes (leurs membres se décrivent plutôt comme des partisans d’un “réalisme racial” ou du “nationalisme blanc”). En mai dernier, Jeff Hall, l’un des dirigeants du Mouvement national-socialiste, a occupé les premières pages des journaux après une étrange tragédie : il aurait été assassiné par son fils de 10 ans. Avant sa mort, il avait fait campagne pour un poste discret dans l’administration des eaux à Riverside, en Californie.
Ce plombier, qui se pavanait avec un svastika et patrouillait le long de la frontière mexicaine en tenue paramilitaire, avait obtenu près de 30 % des votes de sa commune en novembre 2010. “C’est un résultat considérable pour quelqu’un qui se présente officiellement comme un néonazi”, commente Marilyn Mayo, codirectrice du Centre sur l’extrémisme, qui dépend de la Ligue antidiffamation (ADL). La carrière politique de Hall a été brutalement interrompue, mais il faut s’attendre à d’autres candidatures issues des milieux suprématistes blancs l’an prochain. “Après l’élection d’Obama, leur première réaction a été la colère. Ils se disent que, si un Noir peut être élu, pourquoi pas quelqu’un qui représente les intérêts des Blancs ?” explique Marilyn Mayo. Quelques semaines après la victoire d’Obama, David Duke avait rassemblé ses partisans à Memphis, Tennessee, pour définir une nouvelle stratégie.
A en croire les observateurs, les élections de mi-mandat de novembre 2010 ont permis aux suprématistes blancs de réaliser leur plus forte percée électorale depuis des années. “De plus en plus de suprématistes et d’autres membres de la droite radicale se présentent à différents suffrages, cela fait des années que cette tendance se développe, et il y en a sans doute eu plus que jamais aux dernières législatives”, constate Mark Potok, du Southern Poverty Law Center. “Très peu d’entre eux arrivent à se faire élire, surtout si leurs opinions sont révélées pendant la campagne, mais le fait qu’ils soient si nombreux à se présenter ouvertement témoigne de la montée du nationalisme blanc au cours des dix dernières années.” En 2010, le groupe de veille dirigé par Mark Potok a recensé vingt-trois candidats exprimant des idées d’extrême droite, dont neuf qu’il considère comme des suprématistes ou des nationalistes blancs. (Les autres sont des opposants acharnés à l’immigration et des partisans de la théorie du complot qui ne sont pas liés à des organisations blanches.) Le néoconfédéré Loy Mauch a remporté un siège à la législature de l’Arkansas. James C. Russell, qui dénonce les mariages mixtes, a obtenu 37 % des voix quand il s’est présenté à l’assemblée législative de l’Etat de New York. Quelques-uns ont profité de l’appui d’une nouvelle organisation de tutelle, l’A3P, ou American Third Position [une position tierce, par opposition aux deux grands partis qui dominent la vie politique aux Etats-Unis], lancée en 2010 par une poignée d’enseignants et de juristes à l’air illuminé pour, comme le clame leur déclaration d’intention, “représenter les intérêts politiques des Américains blancs”.
Certains ont déjà entrepris les démarches pour se porter candidats à la présidentielle de 2012. “Les Blancs doivent ouvrir les yeux et comprendre que nous sommes en train de devenir une minorité dans notre pays”,affirme John Abarr, âgé de 41 ans, ancien militant du Ku Klux Klan, qui a déposé sa candidature pour pouvoir collecter des fonds en vue de conquérir l’unique siège du Montana à la Chambre des représentants. Le Parti républicain ne le soutient pas, mais cela ne l’inquiète guère. “Je ne pense pas que l’opinion publique nous soit tellement hostile. Les gens du Montana sont des libres-penseurs”, estime-t-il. Les éléments clés de son programme ? La suppression de la Réserve fédérale américaine, le passage de l’âge légal pour entrer dans l’armée à 21 ans, pour mettre fin à ce qu’il appelle la pratique “barbare” qui consiste à envoyer des adolescents à la guerre [il est aujourd’hui fixé à 17 ans avec consententement des parents], l’abolition de la peine de mort, la légalisation de la marijuana (personnellement, il ne fume pas et ne boit pas), la création d’un impôt à taux unique de 5 %, et des mesures pour aider les Blancs à lutter contre la discrimination positive et l’immigration, lesquelles, assure-t-il, favorisent les minorités. Il décrit le Klan comme une organisation chrétienne de défense des droits civiques des Blancs, et passe rapidement sur la brutalité à l’origine de sa mauvaise réputation. “Je n’approuve pas que l’on lynche qui que ce soit pour quelque raison que ce soit, mais c’était une autre époque. Nous avons déjà un président noir, et je ne sais pas quand on aura de nouveau un président blanc.”
Pour la ségrégation consentie
L’un des éléments clés permettant aux activistes de la cause blanche de se mobiliser est Stormfront, le plus grand site Internet suprématiste du pays, où des milliers de “réalistes raciaux” parlent de tout, de la scolarisation à domicile à la formation d’un parti qui puisse les rassembler. Don Black, animateur radio et fondateur de Stormfront, a pour stratégie de démarrer par la base, “là où nous avons une chance de gagner. Il est impossible d’entrer au Sénat ou à la Chambre des représentants, mais ça peut marcher si on brigue les assemblées des Etats ou des fonctions plus modestes.” Et aucune n’est trop modeste. Harriet Paletti, “sergent” du Mouvement national-socialiste du Wisconsin, est mère de trois enfants, ce qui n’empêche pas cette femme pleine de vitalité de travailler. Il n’y a que sur son lieu de travail qu’elle retire sa croix gammée. Elle compte se présenter au conseil municipal de sa commune en 2012 et vient tout juste d’envoyer son curriculum vitæ au maire de New Berlin, dans l’espoir d’obtenir un siège soit au comité sur la prévention de la délinquance, soit à la commission sur la police et les pompiers, ou au département des parcs et loisirs. “Ce sont des fonctions occupées par des bénévoles qui renforceront mon curriculum politique quand j’entamerai ma campagne, fin 2012.” Si elle est élue, elle affirme qu’elle représentera tous les habitants de sa commune, essentiellement blanche. Elle est simplement opposée à la mixité dans la vie privée, dans le cadre de ce qu’elle définit comme la “loi naturelle de la ségrégation consentie”.
Quant à la candidature de David Duke, elle pourrait avoir un effet mobilisateur. Il vit aujourd’hui en Europe, mais reste très actif sur Internet, d’où il mobilise ses fans. Il assure qu’il n’y a rien de mal à ce que les Blancs se dotent d’un bloc politique. “Je ne hais personne, soutient-il. J’aime simplement mes racines et mes valeurs.”