La tragédie des indépendances
La tragédie des indépendances
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En dehors de la culture et accessoirement du sport, il y a très peu de domaines où les Africains trouvent un motif de fierté. Voici un demi-siècle que nous portons le bonnet d’âne de l’humanité. L’Afrique est le grabat sur lequel gît le sixième de la population mondiale. C’est la partie du monde où l’on a le moins de chance de vivre longtemps. Avant d’atteindre cinquante ans, l’homme africain court beaucoup plus le risque que n’importe quel autre de mourir de faim, de sauter sur une mine, si le paludisme ne l’a pas fauché à bas âge. Incorrigibles traînards, nous continuons d’offrir au monde le spectacle d’un continent miséreux, où résonnent toujours, comme dans un concert maudit, le crépitement des kalachnikovs, le cri des orphelins du sida, des enfants du kwashiorkor, l’appel de détresse des femmes qui meurent en couches, très souvent sans assistance.
Cette année, nous célébrons, concomitamment, le cinquantenaire de l’indépendance de notre pays et la renaissance africaine, que la statue géante de Ouakam, inaugurée samedi, est censée symboliser. Il y a un paradoxe à relever : ce double évènement est fêté avec des exemples vivants de la faillite des élites du continent. En effet, qui mieux que le Zimbabwéen Robert Mugabé, héros décati de la guerre de libération de son peuple, incarne la désillusion post-coloniale ? La simple évocation du nom de Compaoré suffit à rappeler l’une des plus grandes tragédies de l’Afrique : l’assassinat de Sankara. Ali Ben Bongo, fils de son père, personnifie la gestion familiale du pouvoir africain, corrompu et sa dévolution dynastique - ce schéma successoral guette peut-être le Sénégal. Le Congolais Sassou Nguesso, le Tchadien Idriss Deby sont à la tête de pays gâtés en ressources pétrolières, dont l’exploitation ne profite guère aux populations majoritairement pauvres.
Il y a donc erreur de casting dans cette tragédie des Indépendances. Les vrais héros africains, ce ne sont pas ceux à qui on a déroulé le tapis rouge. Au procès des Indépendances, ils trouveront, sans doute, leur place au box des accusés.
’Chaque génération a ses pyramides à construire’. Ce serait faire preuve d’une étroitesse d’esprit que de résumer cet aphorisme à l’édification d’un édifice en bronze, fut-il une prouesse architecturale. Le vrai monument à construire est aujourd’hui l’Union africaine. Bâtir une union des peuples à la place de ce ‘machin’ que dirige Jean Ping, une pâle copie de l’Union européenne, c’est le meilleur cadeau d’anniversaire qu’on peut faire pour le cinquantenaire. Pour flatter notre orgueil national, on décrète la reprise des bases détenues sur notre sol par la France. Il est malsain de présenter cette mesure, consensuelle du reste, comme le symbole d’une liberté reconquise, sonnant ainsi l’acte final de la décolonisation. Cet évènement répond plus à une volonté de Nicolas Sarkozy de réorganiser la présence française sur le continent qu’à un patriotisme (tardif) de nos dirigeants. Insistons sur le fait qu’il serait criminel de ne pas combler le vide que laisseront les militaires français, quand on connaît le secours qu’ils nous portent en cas de catastrophe. Ne nous trompons pas de débat : la colonisation se perpétue sous d’autres formes. Le contingent de financiers en costumes gris et d’experts aux lunettes fines qui appliquent au continent ses recettes néfastes poursuit le même objectif que les hommes en kaki : mettre l’Afrique sous la coupe réglée des pays occidentaux.Ce que le colonisateur a entrepris avec la poudre et le canon, les Institutions de Bretton Woods le prolongent sous d’autres formes, beaucoup plus pernicieuses.
L’émigration mortelle des fils de l’Afrique et sa pauvreté chronique sont la résultante de deux facteurs : la nocivité des politiques venues d’ailleurs et la corruption de ses gouvernants.
La renaissance africaine peut corriger l’échec des Indépendances. A condition qu’elle ne soit pas qu’un slogan. Cinquante ans, c’est l’âge de raison. C’est le temps des choix que nous n’avions pas osé faire plutôt. Le premier doit être de supprimer les frontières artificielles laissées par le colonisateur, ces plaies béantes qui suppurent le mépris et la haine. Il est plus que temps, pour les Etats concernés, de rompre avec le Franc Cfa, véritable instrument de domination politique et économique. Enfin on ne peut pas espérer aller loin sans nos langues, ferment des cultures africaines.
Source: Walfadjiri