À QUI PROFITE L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT

À QUI PROFITE L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT ( Partie 1 )
Arnaques en tous genres et escroqueries organisées pour se donner bonne conscience

Officiellement, le développement désigne la volonté des pays industrialisés d'aider les pays dits "sous-développés", d'anciennes colonies généralement. Depuis cinquante ans, de nombreuses institutions ont été créées en ce sens : ministères spécialisés, Programme des Nations Unies pour le Développement, Banque Mondiale, Fonds Européen de Développement, etc.

Ces dernières années, l’ensemble des pays de l’OCDE  a consacré entre 50 et 80 milliards de dollars par an pour l’aide publique au développement. L'OCDE ou Organisation de Coopération et de Développement Economique rassemble 29 pays parmi les plus industrialisés de la planète, tous attachés "à la démocratie et l’économie de marché"

Cependant, cette version officielle est très controversée. L'aide au développement est notamment accusée d'être un instrument de politique étrangère permettant de conserver une influence sur les anciennes colonies.

L'expression Pays du Sud est une manière de rassembler les expressions pays en développement, pays sous-développés ou encore pays du Tiers-Monde, en se référant au schéma selon lequel les pays riches sont au Nord de la planète, les pays pauvres au Sud.

Vision évidemment simpliste, que nous utiliserons toutefois par souci de commodité. L'aide publique au développement est-il un outil de solidarité internationale ou bien un mécanisme de domination du Nord sur le Sud ?

Jugeons l’arbre à ses fruits en examinant ce que nous savons de la répartition et du devenir de l'aide publique française au développement.

En 2005, l’État français a consacré environ 8 milliards d’euros pour l’Aide Publique au Développement. Cela représente environ 2,5% de son budget annuel et 0,47% de son Produit Intérieur Brut. Le PIB de la France atteignait près de 1 500 milliards d’euros en 2002.

En 1970, la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement avait fixé comme objectif aux pays de l'OCDE une APD au moins égale à 0,7% de leur PIB. Les autres pays industrialisés sont également en dessous du seuil de 0,7%, à quelques exceptions près (Danemark, Norvège, Pays-Bas, Luxembourg, Suède).

La France est l'un des pays qui a le plus réduit son APD depuis une dizaine d'années. Entre 1994 et 2000, cette somme a diminué de 30% environ. Néanmoins, depuis 2002, elle est en légère hausse. Cette hausse est toute relative. Elle est essentiellement due à l'augmentation des annulations ou réductions de dette Comptabilisées dans le budget de l'APD. Comme nous le verrons pas la suite, les principales activités financées sont très éloignées des besoins prioritaires des populations.

Comparé à d'autres indicateurs économiques tels que la dette des pays du Sud, le poids de l'aide publique au développement dans les flux financiers internationaux est faible.

Contrairement à l'idée reçue selon laquelle la France donne plus d’argent aux pays en développement qu’elle n'en reçoit, une analyse des flux économiques met en évidence une tendance globalement bénéficiaire pour la France dans ses échanges avec les pays du Sud.

Ainsi, selon le Centre Français du Commerce Extérieur, la France a dégagé 29 milliards d’euros de bénéfices commerciaux avec l’Afrique (principale destination de l'APD) entre 1989 et 1998, tandis qu’elle lui a versé sur la même période 21 milliards d’euros d’aides.

L'aide des migrants plus forte que l'aide officielle

On considère que les migrants envoient de 10 à 20% de leurs revenus à leur famille restée dans leur pays d'origine. Ces montants ont considérablement augmenté ces dernières années et dépassent les 80 milliards de dollars annuels.

L'aggravation de la crise économique internationale et la détérioration des conditions de vie des populations des PED (Pays En Développement) semblent avoir provoqué un renforcement de la solidarité de la part des migrants établis dans les pays riches, bien qu'eux-mêmes soient touchés par la récession.

Notons que ces envois, généralement effectués sous forme de virement bancaire, constituent une manne lucrative pour les banques occidentales : elles gardent entre 7 et 18% du montant envoyé (soit plus de

10 milliards de dollars par an).

Qui bénéficie de l'aide ?

L'aide publique au développement se répartit en une part bilatérale et une part multilatérale :

-        la part bilatérale : aide de l’État français à un autre État.

Même si l’argent peut transiter par des associations ou des entreprises, c’est l’État français qui décide du pays bénéficiaire. Environ deux tiers de l’APD sont ainsi concernés.

-        la part multilatérale : contribution de l’État français aux institutions financières internationales (Fonds Monétaire International, Banque Mondiale…) ou à des organismes de développement (Fonds de Développement Européen, ONU…).

Cela concerne environ un tiers de l’APD. Notons que le volume de l’APD multilatérale tend à augmenter en proportion.

L’aide multilatérale

L'aide multilatérale est destinée aux institutions financières ou organisations internationales officiellement engagées dans des programmes de coopération économique, sociale ou humanitaire. Voici sa répartition moyenne pour la France :

60-70 % Union Européenne (Fonds Européen de Développement essentiellement)

20-30 % Banque Mondiale

5-10 % Fonds Monétaire International

5-10 % Organisme des Nations Unies (PNUD, UNESCO, UNICEF, HCR, CNUCED, etc.)

Nous connaissons mal le fonctionnement et l’impact des organismes de développement de l’Union Européenne. Nous n’évaluerons donc pas le devenir de l’APD française au sein de ces instances. Notons cependant que le Parlement européen n'exerce quasiment aucun contrôle sur les projets du Fonds Européen de Développement.

Ces derniers sont gérés par la diplomatie des pays donateurs. En revanche, les politiques de la Banque Mondiale et du FMI font l’objet de larges études d’impact. Elles ont largement contribué à l'imposition du modèle néo-libéral dans les pays du Sud et sont accusées d'avoir provoqué le délabrement des systèmes d'éducation et de santé, la surexploitation des ressources naturelles à des fins d'exportation, la montée du chômage, etc…

L’aide bilatérale

Le devenir de l'APD bilatérale française est complexe :

-        Elle est gérée par une multitude d'acteurs étatiques : le Ministère de l’Economie et des Finances, le Ministère des Affaires Etrangères (depuis 1998, le ministère de la Coopération -créé en 1959, héritier du ministère des Colonies, puis de l'Outre-mer) est rattaché au ministère des Affaires étrangères, le Ministère de l’éducation Nationale, les conseils régionaux et généraux, l’Agence Française de Développement, le Secrétariat d'État à la Coopération, etc. Cette pluralité des centres de décision entraîne des discordances ; il n'existe pas de stratégie commune autour d'objectifs largement acceptés.

-        Sa destination est obscureIl est très difficile d’obtenir des renseignements précis quant aux lignes budgétaires affectées à l’APD bilatérale. Il n’existe pas de tableau récapitulatif de toutes les opérations menées à ce titre. Le Parlement français n’a pas accès aux affectations précises de l'APD. La cour des comptes elle-même déplorait, en 1996, le manque de contrôle financier sur l’APD bilatérale française.

Dans ces conditions, comment identifier la destination précise de ces fonds ? Comment en mesurer l’impact ?

" ... l’APD n’existe pas : personne ne la conçoit, ne l’organise ou la supervise. Ce qu’on appelle APD est seulement un chiffre établi après coup par nos comptables publics. Ils y intègrent l’ensemble des dépenses relatives aux relations avec un quelconque pays du "Sud" (y compris la Corée du Sud ou Israël…). Ils se demandent seulement si l’étiquette 'développement' qu’on pourrait accoler à ces dépenses n’est pas tellement aberrante qu’elles seraient rejetées par le jury – le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE. Inutile de le préciser, les administrations qui ont ordonné ces dépenses n’ont, très généralement, jamais songé à inscrire leur action dans une stratégie de développement. Comme tous les pays industrialisés pratiquent le même habillage, le jury est très coulant : on y discute par exemple de la recevabilité de la remise des dettes liées à des achats d'armes". F.X. VERSCHAVE, La Françafrique

Quels sont les pays bénéficiaires ?

Jusqu’en 1998, l’APD bilatérale était principalement dirigée vers nos anciennes colonies, c’est-à-dire les pays d’Afrique francophone. En 2004, l'Afrique sub-saharienne a par exemple obtenu 55% de l'APD totale française, contre 12% pour les pays d'Afrique du Nord.

En 1998, a été créée la Zone de Solidarité Prioritaire, une liste des 60 pays les plus pauvres devant bénéficier de l’APD française. En réalité, la France octroie davantage d'aide aux pays à revenu intermédiaire ou aux pays exportateurs de matières premières – commercialement intéressants.

De plus, cette aide bénéficie à nombre de régimes dont le caractère "démocratique" est pour le moins contestable, comme le Tchad, le Gabon, le Congo Brazzaville, le Cameroun, etc…

De manière générale, l'aide occidentale se concentre vers les pays suscitant un intérêt géostratégique, commercial ou économique.

"A titre d'exemple, à la fin des années 80, des pays comme Israël et la Jordanie, au premier plan des enjeux proche-orientaux, recevaient respectivement une aide de 110 et 280 dollars par habitant, contre 20 pour l'Éthiopie et 15 pour le Bangladesh. Lorsque la Guerre du Golfe éclate, les États-Unis annulent près de la moitié de la dette égyptienne en échange de son ralliement au bloc occidental, et comptabilisent cette réduction dans leur budget d'aide publique au développement. Plus récemment, la hausse de l'APD américaine constatée en 2001 résulte pour l'essentiel du soutien financier de plus de 600 millions de dollars accordé en un temps record au Pakistan à la suite des événements du 11 septembre(Une grande partie de cette aide était destinée à renforcer la sécurité du personnel américain présent sur place)Similairement, la guerre déclenchée en Irak au printemps 2003 a donné lieu à une augmentation massive des crédits de l'agence de coopération USaid, pour la reconstruction du pays, profitant quasi exclusivement aux entreprises américaines".

De fait, deux tendances semblent guider la répartition de l’APD bilatérale française :

Plus le pays exporte des matières premières, plus il reçoit. Plus le pays est pauvre, moins il reçoit.

Il existe une corrélation (proche de 80%) entre le volume d’exportation du pays (pétrole, bois, cacao, minerais, etc…) et l’APD bilatérale française reçue.

Un bilan officiel de l'APD française : le rapport Tavernier

À notre connaissance, le dernier bilan officiel et global de l'APD française remonte à juin 1998. Sur environ 170 personnes consultées pour réaliser cette étude, la quasi-totalité sont des dispensateurs ou des relais de "l'aide" : aucune ne représente les bénéficiaires potentiels, ceux dont, théoriquement, la pauvreté devrait se trouver allégée.

De même, le responsable du bilan, le député socialiste Yves TAVERNIER, n'a rencontré aucun représentant des citoyens français mobilisés dans les Organisations de solidarité internationale (OSI, ou

ONG). Ni aucun des universitaires et experts qui, depuis des années, scrutent en profondeur les fonctionnements de l'APD.

L'affectation de ces fonds, détaillée par Yves TAVERNIER, montre des objectifs forts disparates, et confirme l'incapacité à concevoir un vrai projet de solidarité internationale. On y insiste sur la promotion des entreprises et de l'audiovisuel français, on cherche à développer l'influence française à Bruxelles et à New York, à accroître le prestige de la francophonie. On compte même en APD, dans les pays du "pré carré", le coût de la scolarisation des élèves français...

Le caractère opaque de l'APD est mis en évidence : "Dans notre dispositif, le Parlement n'est pas associé. Il vote de manière dispersée les crédits. Chaque intervenant sur place reflète les orientations reçues de l'autorité parisienne dont il dépend. La France ne définit pas explicitement les priorités de son aide à un pays donné. L'approche stratégique semble absente".

Enfin, l'APD est présentée comme un moyen de "soutenir les entreprises françaises, projet par projet", de "permettre aux entreprises de se placer suffisamment en amont des projets et de bénéficier d'un avantage d'antériorité lors de l'octroi des financements"; il s'agit de s'intéresser au"taux de retour commercial".

De même, l'objectif premier des contributions françaises aux institutions de l'aide multilatérale est d'y "bénéficier d'un effet de levier" pour nos entreprises, d'y accroître notre "influence" pour permettre, par exemple, le renflouement d'un État client. L'objectif central de notre coopération culturelle n'est pas la lutte contre l'insuffisance ou la dégradation des systèmes d'éducation primaire, c'est "l'universalité de la présence de nos idées, de nos arts et de nos convictions. L'axe central de ce réseau de relations est normalement la francophonie".

A quoi sert l’aide bilatérale française ?

Le tableau suivant est une tentative pour synthétiser les destinations de l’APD bilatérale, par recoupement et à partir des informations que nous avons obtenues. Attention, ces chiffres sont très approximatifs. Ils doivent surtout être perçus comme des ordres de grandeur.

-        Opération sur la dette : Rééchelonnement de la dette ou révision des taux d’intérêt. Parfois annulation de dette. 30-40 %

-        Coopérants : Envoi de coopérants pour des projets techniques, scientifiques ou culturels. On recensait 3 250 coopérants en 2001. Les salaires de ces coopérants sont généralement élevés, de l’ordre de 4 500 à 23 000 € par mois. 20-25 %

-        Promotion de la Francophonie : Projets culturels francophones, enseignement du français. 15-25 %

-        Aide-projet : Financement pour l'étude et la réalisation d'équipements, d’infrastructures (ex : eau/assainissement), de programmes d’actions (ex : santé, éducation). Jusqu'en 2002, un tiers de cette aide était "liée" : les dons ou prêts étaient conditionnés par l’octroi des travaux à une entreprise française. 5 à 10 %

-        Armée : Envoi de professionnels français pour former l’armée locale, la gendarmerie, etc... 3 %

-        Aide budgétaire : Dons versés directement à un État. Le parlement français n’est pas informé. La nature de ces dons est inaccessible au public. Cette somme a fortement diminué ces dernières années, suite aux soupçons de détournement notoire dont elle faisait l'objet. 1 %

-        Aide à l’ajustement structurel : Il s’agit essentiellement de soutien aux programmes d’ajustement structurel de la Banque Mondiale et du FMI dans certains pays. 1 %

Sources : OCDE, Politis

Cette répartition appelle plusieurs commentaires :

-        Armée

Quelle est la pertinence de l’affectation de la coopération militaire dans le budget de l’aide publique au développement ? Plusieurs gouvernements des pays industrialisés incluent (ou envisagent de le faire dans le futur) le coût de leur participation à des opérations de "maintien de la paix" dans l'APD.

-        Aide-projet

La part destinée aux infrastructures eau/assainissement, à des programmes de santé ou à des programmes d’éducation de base est relativement faible. Elle tend d'ailleurs à baisser ; sa part dans le total de l'APD est passée de 14% à 10% entre 1994 et 1998.

-        Francophonie

Pourquoi la part réservée à la promotion de la francophonie est-elle si importante ? Le projet de loi de finance 2001 sur la coopération française au développement donne le ton : "La coopération culturelle, scientifique et technique de la France participe au renforcement de l’image et du rôle de notre pays en Europe et dans le monde. Elle contribue à la diversité culturelle, en offrant notamment une alternative aux influences anglo-saxonnes".  Explicite… Mais est-cede "l'aide au développement" ?

-        Coopérants

Les salaires des coopérants sont étonnamment élevés. Gagner 10 000 euros par mois dans des pays où les salaires moyens sont cent fois plus faibles nous interpelle. N'y a-t-il pas là comme une contradiction ? Sans compter le fait que de nombreux témoignages remettent en cause l’efficacité des projets de coopération et la réelle motivation des acteurs du développement français.

-        ONG

Quand on pense au développement, on pense souvent aux ONG. Or, au total, moins de 1% de l’APD bilatérale française leur est consacré. De plus, plusieurs ONG ont des rôles douteux ou contestables; la part d’APD destinée à de "réels" projets de développement menés par des ONG paraît donc très faible.

-        Opérations sur la dette

II suffit qu'un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu'il soit considéré comme une aide, et cela même s'il est ensuite remboursé jusqu'au dernier centime par le pays bénéficiaire.

La majorité des opérations sur la dette concerne des contrats purement commerciaux ayant peu à voir avec des projets de développement socio-économique.

De plus, les opérations sur la dette d'un pays peuvent également donner lieu à des rachats de créances par des investisseurs français.

Il s'agit des programmes de conversion de la dette : des groupes privés, français par exemple, rachètent une partie de la dette d'un pays à un prix inférieur à sa valeur réelle et "l'échangent" contre une partie du capital d'une grande entreprise locale, privée ou privatisable.

Par exemple, en Jordanie, les groupes France Telecom, Lafarge, Société Générale et ACCOR ont profité d’une conversion de dette de 45 millions d’euros pour investir massivement dans le pays. Dans quelle mesure les pays du Sud ne "bradent-ils" pas le capital de leurs entreprises ?

Enfin, la dette peut porter sur des crédits d’exportation en partenariat avec des organismes très controversés tels que la COFACE.

Pour finir, concernant les prêts accordés à taux préférentiels, notons que les États "bénéficiaires" de l'aide française remboursent maintenant plus qu'ils ne reçoivent. Ainsi, en 2002, la France a perçu 326 millions d'euros de plus en remboursements qu'elle n'a consenti en nouveaux crédits.

Les pays pauvres remboursent la France ; celle-ci leur reverse l'argent et le comptabilise dans l'APD. Cela revient à faire payer aux pays du Sud une partie de l'aide que la France leur octroie. Les pays donateurs s'enrichissent au dépens des pays qu'ils sont censés aider.

Selon la Banque Mondiale, les États industrialisés ont reçu, en 2002, deux fois plus d'argent sous forme de remboursement de la part des pays en développement (environ 37 milliards de dollars) que ce qu'ils leur apportaient sous forme de prêts (environ 19 milliards de dollars).


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