La supercherie du Memorial ACTe
J'ai visité le Memorial ACTe en Guadeloupe et je me dois de dénoncer la malhonnêteté intellectuelle de son exposition permanente. La plupart des personnages et faits présentés sont hors de propos ou altèrent carrément la vérité historique. En outre l'accent est mis sur des portions insignifiantes de la traite tandis que des épisodes majeurs sont minimisés, voire occultés. Si la mission du Memorial ACTe était de rendre hommage aux actes de résistance et à l'héroïsme du peuple noir, c'est un échec phénoménal !
D'abord j'ai trouvé inopportun de démarrer la visite avec les portraits de 4 africains qui ne sont ni des héros, ni des martyrs de la résistance. Non seulement ces 4 personnages ne présentent aucun intérêt historique mais ils font l'apologie des occidentaux qui massacrent les amérindiens. Rn outre, de ces portraits on retient l'idée erronée que les premiers africains à atteindre l'Amérique étaient des domestiques qui servaient les européens avec dévotion. C'est la première falsification de la visite car des africains puissants et érudits ont voyagé en Amérique des milliers d'années avant que les européens ne soient équipés de quelconques moyens de locomotion. Je n'ai pas compris non plus pourquoi tout un pan de la visite est consacré à Christophe Colomb. Si encore l'angle adopté permettait de placer cet envahisseur dans son rôle dévastateur et usurpateur mais il s'agit juste de plaquer les informations des manuels scolaires sur des écrans tactiles. Loin d'apaiser, le Memorial ACTe appuie douloureusement sur la plaie liée à la question de la réparation historique.
Ensuite le sensationnalisme du Mémorial ACTe prend constamment le pas sur la pertinence des sujets sélectionnés. Par exemple, sur un écran géant on découvre une scène de combat entre flibustiers, où des canons retentissent et des corsaires se livrent à des cascades extravagantes. La pièce est décorée avec des coffres de pirates et des pistolets d'époque. Ces éléments ont leur place dans l'attraction "pirates des caraïbes" à Disneyland mais pas dans un lieu prévu pour commémorer la mémoire des africains déportés. S'il fallait montrer un combat maritime, une mutinerie de captifs africains qui prennent le contrôle d'un navire aurait été plus appropriée.
La simulation du flux de la déportation des africains vers les Amériques et la Caraïbe pendant plus de 300 ans aurait également présentée un plus grand intérêt qu'une reproduction hollywoodienne de films de pirates. D'autant que cette simulation du commerce triangulaire a été élaborée avec précision par des historiens qui ont collecté des milliers d'archives, de journaux de bord et de livres de compte. Elle a donc toute sa place dans l'examen scientifique de ce pan du passé. En vérité, le Memorial ACTe est tel un magnifique gâteau dont la décoration et les couleurs ne suffisent pas à annuler le goût amer.
Pendant le reste du parcours on remarque un manque de clarté qui augmente dans chaque salle. Par exemple, des costumes de carnaval originaires de toute la caraïbe se juxtaposent dans une confusion de couleurs. Aucun indice sur la provenance de chacun, rien sur la symbolique des personnages. Certains costumes ont des cornes, pourquoi ? D'autres des poils, pourquoi ? Qui les portent, hommes ou femmes ? pour exprimer quelle satire de la société ? Et surtout quel est le lien de chaque costume avec l'héritage africain ? Bref j'ai traversé cette salle perplexe avec le sentiment d'un exotisme ostentatoire qui relève plus d'une attraction à touristes de croisière que d'un hommage à la reconstruction d'une identité plurielle.
Il en va de même avec un coin où on découvre des tambours de formes et de tailles diverses sans aucune précision sur leurs noms, leurs lieux d'origine, ou leur utilisation : religieuse, cérémoniale, instruments du passé ou au contraire fortement ancrés dans la société moderne? Je trouve absurde qu'avec un budget de 83 millions d'euros le Memorial ACTe n'ait pas investit dans quelques étiquettes qui donneraient du sens au contenu de son exposition.
Et au-delà de ces négligences, les inepties se succèdent dans les 38 sections de l'exposition. Parmi les plus frappantes qui ne trouvent aucun écho dans les faits scientifiques et historiques se trouvent la reproduction d'une case d'esclave avec un lit surélevé et un matelas. On se demande pourquoi autant de captifs africains ont fui un tel confort et préféré mener une vie de marronnage dangereuse et pénible ! Les dessins animés présentés dans une salle type home-cinéma véhiculent des notions stéréotypées de jalousie entre noirs, de servitude souhaitée et de rivalités exacerbées entre femmes pour plaire au maître. Au lieu d'éloigner nos enfants de ces constructions mentales mensongères et de présenter des reconstitutions fidèles, le Memorial ACTe soutient les fantasmes esclavagistes.
Quant à la résistance de nos ancêtres, elle est complètement survolée. Le nom de Zumbi Dos Palmares apparaît furtivement mais aucun détail sur son parcours et sur la lutte qu'il a mené. Aucune mention des autres héros de la résistance. Même le destin de Toussaint Louverture est passé sous silence alors qu'il a libéré la première nation noire de la Caraïbe. Le Memorial ACTe tente de couvrir une plaie avec un joli sparadrap sans la traiter. Mais ce n'est pas parce qu'on masque une blessure qu'elle fait moins mal.
Malheureusement ce qui m'a profondément dérangé ne s'arrête pas là. Une frise chronologique présente des exemples d'esclavage qui existaient préalablement en Asie, en Orient et en Afrique. Cette frise apporte une circonstance atténuante aux responsables de la traite négrière avec le célèbre argument "nous n'avons rien apporté de nouveau, l'esclavage existait déjà". Il est indispensable de préciser que les esclavages préexistants étaient différents tant dans les conditions que dans le traitement. La condition d'esclave ne se transmettait pas automatiquement de parent à enfant, l'émancipation était courante, la torture, le viol et la mise à mort n'était pas légalisée, les esclaves n'étaient pas considérés comme du mobilier. C'est tout à fait abject de mettre sur le même plan des systèmes qui ont des fondements différents. Cette frise conduit les visiteurs non avertis à un amalgame lourd de conséquence. Dans un lieu qui est censé briller d'une vérité sans compromis c'est INADMISSIBLE !
Et les idées erronées de la sorte jonchent tout le parcours ! Comme pour l'affichage du nombre de 13 millions de victimes. C'est la seule donnée chiffrée présentée dans l'exposition concernant l'impact humain. Or, on ne peut le réduire seulement aux esclaves vendus en Amérique et dans la Caraïbe. W.E.B. Dubois, sociologue et historien américain a inclus toutes les victimes collatérales, c'est-à-dire celles qui sont mortes en résistant à la capture en Afrique et celles qui n’ont pas survécu aux conditions de détention dans les forts ou au transport dans les cales des bateaux. En ajoutant ces victimes collatérales, W.E.B Dubois totalise environ 100 millions d'africains. Concernant un tel massacre, on ne peut choisir avec désinvolture le seul chiffre présenté au grand public !
Lorsqu'on poursuit dans la salle des abolitionnistes, 5 d'entre eux sur 6 sont blancs. Ils ont griffonné quelques mots emplis de compassion depuis leur confort européen et hop ils ont droit à des portraits gigantesques au Memorial Acte ! En revanche les héros des insurrections dans les plantations n'ont aucune mention nulle part, les courageux marrons qui ont lutté activement sur le terrain pour reconquérir leur liberté et faire évader des compatriotes n'ont aucune mention nulle part.
Et comment ne pas remarquer un favoritisme accordé aux colonisateurs lorsque des blancs ont droit à des portraits gigantesques aux Memorial ACTe et que les révolutionnaires afro-américains qui ont milité pour les droits civiques ont juste de minuscules photos sans mentions biographiques. Si les visiteurs connaissent les idéaux d'Angela Davis ou de Martin Luther King tant mieux, sinon ce n'est pas au Memorial Acte qu'ils les découvriront.
Mon écoeurement a atteint son paroxysme lorsque je suis arrivée devant la place allouée au culte de la franc-maçonnerie. On y observe un trône imposant entouré de tous les symboles ésotériques franc-maçons. Quelle pertinence avec les combats méritants de nos ancêtres? Un texte veut nous faire croire que du haut leur fortune indécente, certains franc-maçons purement altruistes auraient joué un rôle déterminant dans l'abolition de l'esclavage. Les véritables abolitionnistes sont Boni, Simon, Pompé et Jertrud en Guyane, Solitude, Delgres et Ignace en Guadeloupe, Héva et Ansaing à la Réunion, Dandara et Zumbi au Brésil, Kwaku au Surinam, Cuffy au Guyana, Gaspar Yanga au Mexique, Mackandal à St Domingue, Bookman et Dessalines à Haïti, Nanny, Cudjoe, Paul Bogle et Sam Sharpe en Jamaïque, Bussa à la Barbade, Tula Rigaud à Curaçao, Markus à St Kitts, Nat Turner et Harriet Tubman aux États-Unis ou encore Soundiata Keita au Mali. Tous sont africains ou afro-descendants, aucun d'entre eux n'est abordé au Memorial mais la loge maçonnique a son autel ! La mascarade est flagrante ! C'est une succession de supercheries qui s'égrènent du début à la fin de l'exposition. Je suis ressortie affligée. J'avais des attentes trop ambitieuses pour un projet financé par le camp des bourreaux. Une fois de plus notre histoire est contournée mais notre peuple ne se résigne jamais ! Notre génération mène actuellement une énorme révolution qui va neutraliser ces exactions psychologiques ! Nous vaincrons ces chaînes mentales comme nous avons vaincu les chaînes aux poignets et aux chevilles en 1848 !
Safia EnjoyLife